De Saint Sigisbert à Compostelle : Jacques Cuny porté par l’oubli

Jacques Cuny vers la vie d’après

Jacques Cuny a fait sienne cette citation de l’Académicien et marcheur, Jean-Christophe Rufin. 

Bac littéraire en poche, décroché au lycée Saint-Sigisbert, Jacques Cuny poursuit ses études à la faculté d’Histoire de Nancy. Il s’y arrêtera un an avant de bifurquer vers la restauration. Il passe un BTS à l’école hôtelière de Strasbourg. S’ensuit un premier poste dans un quatre-étoiles en Suisse. Il y fera ses armes pendant un an. Chef de rang, il enchaîne sur un étoilé Michelin belge.

Il s’y consolide pendant un an et demi avant de traverser l’Atlantique pour travailler aux États-Unis. Cette expérience américaine durera quatre ans. Jacques revient à Nancy en 2004 et pose ses valises. En mai 2005, on le croise à l’hôtel de la Reine, place Stanislas. Son premier emploi en France.

Il s’y installera un an et demi avant d’effectuer un crochet de quatre mois par la Maison dans le Parc, la table voisine de l’hôtel de la Reine. Le gaillard a la bougeotte.

Il a à l’esprit d’ouvrir son propre restaurant. Ce sera le « Cul-de-poule », en vieille ville, qu’il rebaptisera en 2008 « L’Arsenal ».

Fils de restaurateurs, Jacques Cuny a mis les voiles après des années à diriger son propre établissement à Nancy. L’Arsenal revendu, il a chaussé des godillots et entrepris de rallier Saint-Jacques-de-Compostelle. Une traversée solitaire de 2 000 kilomètres pour se désencombrer

Jacques Cuny a grandi dans les restaurants et au rythme des services. Des années exténuantes dont il se libère en marchant sur les chemins de Compostelle.

Ce ne sera pas un aller sans retour. Mais, pour l’instant, Jacques Cuny a mis les bouts. Il est allé se faire voir ailleurs. Loin, en dehors de sa ville de Nancy qui l’a vu naître, grandir dans les jambes de ses parents et des clients du « Petit Cuny ». Une institution familiale de la Cité des Ducs. On allait chez « Cuny », comme on se rendait chez des amis sincères. Généreux, affable, opiniâtre, Jacques est le digne héritier de cette dynastie d’aubergistes. Mais le métier éreinte, essore, vous mange. À 48 ans, Jacques Cuny a donc décidé de prendre ses distances avec les horaires à rallonge et les tracas du patron. En janvier dernier, il a revendu « L’Arsenal », une affaire personnelle dont il avait bâti la réputation pied à pied, jour après jour, avec son indéfectible sens des accords et de l’accueil.

Puis, avril est venu et Jacques est parti. Il a pris la route le 4, seul, appuyé sur son bâton de pèlerin, un sac de douze kilos suspendu à ses épaules. Départ de la vieille ville de Nancy, son terrain de jeu depuis l’enfance. Bénédiction à la basilique Saint-Epvre, son sémaphore depuis toujours. Le marcheur aime les symboles, mais aussi la sérénité et le silence des chapelles. « Je ne suis pas un mystique, mais cela me fait du bien », dit-il sobrement. De Nancy, il a rejoint Toul. 28 kilomètres dans les pattes. Un court avant-propos à son aventure. Car Jacques a prévu d’engloutir 2 100 kilomètres en à peine plus de trois mois, au rythme d’une vingtaine de bornes par jour, sans grand confort.

Pour son premier périple, le voyageur a, en effet, choisi de rallier directement Saint-Jacques-de-Compostelle. « Je ne sais pas faire dans la demi-mesure », s’amuse-t-il en ce mois de mai, déjà à six cents kilomètres au sud de la Lorraine. Il s’est accordé une pause d’une journée. Jacques baguenaude d’un pas léger. Ses semelles foulent le passé. Son esprit gambade, survole les prairies. Jacques a fait sienne cette citation de l’Académicien vagabond, Jean-Christophe Rufin : « En partant pour Saint-Jacques, je ne cherchais rien et je l’ai trouvé. »

La brise souffle la poussière. L’exploit sportif n’est pas l’essentiel. Jacques ne court pas après la performance, mais après un besoin de prendre le large, de s’éprouver mentalement et physiquement. De retrouver des sensations perdues. De s’assainir. De se dénouer dans l’effort. De redécouvrir l’ennui, l’imprévisible, l’aléa et l’extraordinaire. Jacques est un contemplatif. La marche est son véhicule. L’histoire une passion.

« Mais je ne suis pas complètement parti de la restauration, j’aime mon métier, j’aime les gens, c’est dans l’ADN familial, raconte-t-il. L’idée, c’est aussi de faire une pause pour prendre le temps de réfléchir à l’avenir. Je fais en sorte de rester dans l’instant présent, bien sûr, mais je pense à la suite, à un nouveau concept. Quand je reviendrai, ce sera le moment de se projeter à nouveau. » D’ici là, il y aura quelques rencontres, peut-être des amitiés, peut-être un point de non-retour… « Je ne crois pas. Je suis entier. J’atteins mon objectif et après je sais que je passerai à autre chose », affirme Jacques Cuny, porté par le vent de l’oubli, mais non par l’amnésie. Ultreïa !